Le retour du Cinéma indien au Féminin …
Deux films indiens figuraient cette année à la sélection du Festival de Cannes, All We Imagine as Light de Payal Kapadia en Sélection Officielle et Santosh de Sandhya Suri dans la section Un certain Regard.
Payal Kapadia s’est vu remettre un Grand Prix pour son film, All We Imagine as Light, une première depuis 30 ans pour un film indien en sélection officielle.
Quant à Santosh de Sandhya Suri, il devra se contenter de l’estime et des applaudissements nourris du public, standing ovation à l’appui !
Les deux films se conjuguent au féminin, tant au niveau de la réalisation que des personnages, All We Imagine as Light de Payal Kapadia et Santosh de Sandhya Suri nous partagent l’histoire de femmes indiennes dans la société.
Avec le film Santosh, Sandhya Suri nous montre une femme mariée à un policier.
Suite à la mort tragique de ce dernier et conformément à la loi, elle hérite du poste de son mari et devient ainsi agent de police.
Notre personnage, Santosh, passe du statut de femme au foyer à celui de représentante des forces de l’ordre en moins de temps qu’il n’en faut pour enfiler un uniforme.
Du jour au lendemain, elle quitte l’univers feutré de la maison pour celui singulièrement corrompu de la police : tout se prend, tout s’achète et notre héroïne essaie tant bien que mal, et plutôt bien, d’éviter les chocs frontaux avec les policiers machistes pour qui elle n’est qu’une remplaçante sur l’échiquier du pouvoir masculin.
La violence est sourde et omniprésente, entre hommes et venant des hommes, mais aussi de la part d’autre femmes policières et madrées qui ont appris à composer avec le pouvoir masculin.
Santosh est un film où la finesse de l’analyse et le souci du détail s’appuie sur une prise en compte des clivages historiques de la société indienne entre femmes et hommes.
La réalisatrice aurait pu faire une héroïne du personnage de Santosh, il n’en est rien et c’est tant mieux.
Elle a choisi de camper Santosh comme une femme consciente plus que combattante guerrière, une femme préférant se construire et comprendre ce nouveau monde public qui l’entoure.
Une femme ferme sur ses valeurs, elle reste sur l’essentiel en évitant les combats inutiles, surtout ceux contre un pouvoir masculin aussi direct … Comprendre ce pouvoir semble être le meilleur moyen pour elle de le transformer, et surtout d’éviter toute forme de compromis autre que celui basé sur l’empathie.
Vivre la relation à l’autre ! Santosh reste humaine et ne rentre pas dans le jeu des hommes.
Dans le second film indien, All We Imagine as Light de Payal Kapadia, présentée en sélection officielle et récompensée par le Grand Prix du Festival, le personnage féminin n’est plus seul, elles sont trois et les relations entre elles gagnent en densité, en dialogues intérieurs, en échanges extérieurs.
Prabha, Anu et Parvaty travaillent dans le même hôpital à Mumbai, les deux premières sont infirmières et colocataires, Parvaty est cuisinière et en situation irrégulière.
Prabha, la plus âgée, tout est relatif, est mariée, séparée de son mari parti travailler en Allemagne.
Anu est amoureuse et n’a qu’une envie, retrouver son chéri.
Les trois partent en vadrouille, plage et forêt …
Prabha rêve tout en culpabilisant par anticipation, c’est sa nature, elle est inquiète, quant à Parvaty, elle se débrouille, elle connait les recettes.
Reste Anu, aucune inquiétude ! son chéri l’a suivie en cachette.
All We Imagine as Light est plus dense que Santosh, tant au plan social que dans la composition des caractères des personnages, de fait il prolonge son message : en cela, les deux films se complètent et se conjuguent, ils nous montrent la disponibilité et la réflexion de plusieurs femmes face à la rigidité et l’indisponibilité masculine.
Le monologue intérieur de Santosh est remplacé par les silences complices et expressifs de nos trois actrices dans All We Imagine as Light, elles se parlent tout autant par les gestes, les postures que par les traits de leur visage, un pur bonheur de dépassement du langage verbal par l’expression corporelle.
Il apparait difficile de voir Santosh sans voir All We Imagine as Light, tant les deux sont un mélange d’intime, de personnel et de social, pour notre plus grand bonheur.
Et comme si cela ne suffisait pas, le Prix de la Meilleure actrice du jury d’Un Certain Regard a été attribué à Anasuya Sengupta, actrice indienne dans The Shamelessde Konstantin Bojanov.
Anasuya Sengupta joue le rôle d’une femme en réflexion sur son passé, un passé dont elle espère s’échapper et connaitre autre chose que la dépendance, une vie de liberté.
Oui, vraiment, c’est bien au femmes que le cinéma indien doit ses récompenses cette année à Cannes.
Payal Kapadia, réalisatrice de All We Imagine as Light a déclaré après la remise de son prix,
“Merci au Festival de Cannes d’avoir retenu notre film. Et s’il vous plaît, n’attendez pas 30 ans pour avoir un autre film indien’’.
Souhaitons lui d’être entendue !
Marc Lanteri – 14 juin 2024
Date de sortie de Santosh en France : 17 Juillet 2024
Date de sortie de All we imagine as Light en France : 2 octobre 2024