Avec “The Killers of the Flower Moon“, Martin Scorsese reconstitue son trio d’enfer, Leonardo DiCaprio, Robert de Niro et lui même … un trio de mousquetaires qui en cache un quatrième indispensable en la personne de Lilly Gladstone, Mollie dans le film.
Le film pourrait s’appeler “De l’Histoire et des Hommes“, tellement le sujet du grand théâtre humain hante Martin Scorsese, au point de se livrer à un exercice d’exorcisme récurrent.
Exorcisme par rapport à ses origines de fils d’émigrés italiens vivant dans un quartier de New York, Little Italy, où l’éloignement de leur Sicile natale les rendaient encore plus traditionalistes et conservateurs que s’ils étaient restés dans leur pays.
“ Enfant chétif et solitaire, Martin Scorsese fréquentait les salles de cinéma avec ses parents, pour se tourner ensuite vers le séminaire et devenir prêtre… Espoir vite déçu !
Suite à une indiscipline chronique, le jeune adolescent choisit d’autres directions, le Bronx, l’Université de New York, les cours de cinéma de la Tisch School …”
Changement de programme et de scénario de vie, tout commençait bien !
Exorcisme aussi par rapport à son pays d’accueil, les États-Unis d’Amérique.
Nombre de ses films traite de sujets autour de la construction / déconstruction de ce pays, car très souvent chez Scorsese le riche côtoie le démuni, la trahison / la fidélité, le sommet / les bas fonds, nous sommes dans l’humain, mais l’humain qui saigne, au propre comme au figuré, de bonheur ou de malheur.
Le Loup de Wall Street, Casino, Gangs of New York, Raging Bull, Taxi Driver autant de films issus de cet univers, de ce monde où rien n’est acquis, où tout peut être perdu, la bataille pour construire un pays, la bataille pour se construire.
Vraiment, il eut été dommage que Martin Scorsese soit devenu prêtre catholique tant son oeuvre de réalisateur nous a éclairé sur les rouages de ce monde qui est le sien, et le notre !
Son désir de comprendre l’origine et le sens des choses, de les disséquer, de les révéler à travers une vision crue de la réalité nous montre que Martin Scorsese n’a pas oublié ce temps là, le temps des contradictions, celui des doutes, le temps de l’élévation ou de l’expiation de sa jeunesse.
Il nous le signifie à travers d’autres réalisations, plus personnelles, telles que Kundun sur le 14ème Dalai Lama, La Dernière tentation du Christ ou Silence sur la persécution des Chrétiens dans le Japon du 17ème siècle.
Avec Killers of the Flower moon, il a choisi de nous présenter un exemple d’entropie américaine, une partie de l’histoire de ce pays …
Bref retour en arrière : en France, la colonisation s’est effectuée à l’extérieur du pays, aux États-Unis à l’intérieur, situation à la fois plus proche et plus compliquée !
Les tribus autochtones indiennes, primo-habitants, se sont vus progressivement dépossédées de leurs terres par le gouvernement américain en échange de “réserves“ où vivre, des réserves sur des terres plutôt montagneuses et pas franchement accueillantes.
Depuis, ces tribus ont survécu tant bien que plutôt mal, dont l’importante tribu des Osages déplacée sur des terres arides en Oklahoma et vivant dans la pauvreté.
Jusqu’au jour où des gisements de pétrole furent découverts sur leurs terres, apportant richesse et et abondance, et attirant entreprises et ouvriers pour gérer cette nouvelle donne … mais aussi des profiteurs de tous poils, prédicateurs et autres faiseurs de bien sur le dos des autres.
Nous sommes dans les années 1920, la 1ère guerre mondiale est finie, les USA sont en pleine croissance, les sources de profit semblent illimitées, le nombre de profiteurs aussi.
Mais les lois ont changés, il n’est plus possible d’éliminer les indiens comme au 19ème siècle, il existe désormais un Bureau des Affaires Indiennes créé par le gouvernement à Washington … Alors, que faire pour ne pas laisser cette manne de pétrole aux indiens ?
Le film va nous montrer que certains ne sont pas à court d’idées pour arriver à leurs fins.
Nous assistons lentement au dépouillement du plus grand nombre au bénéfice de certains, regroupés en association de malfaiteurs s’habillant de bien, et ce en dehors de tout cadre légal.
Martin Scorsese nous décrit lentement, progressivement et avec justesse cette entreprise de démantèlement d’une société pourtant en pleine croissance, il nous fait voir les rouages, les forces, les faiblesses, mais pas les limites, car chez ces arrivistes de la possession, il n’y en a pas.
Robert de Niro anime un personnage tout en intériorité patriarcale calculée et jouant de la soumission comme d’autres du revolver, il ne laisse rien au hasard et s’occupe de la vie des autres en pensant à la sienne en premier… Avec lui pour ami, pas besoin d’ennemis !
Leonardo DiCaprio est dans la peau de celui qui suit et anime le mouvement, en contrepoint de Robert de Niro initiateur du mouvement : DiCaprio est sur tous les coups, les bons comme les mauvais, Il est à la fois joker et valet de pique.
Il n’est pas calculateur, d’autres s’en chargent pour lui, sa seule vérité réside dans l’amour portée à sa femme qui n’est autre qu’une indienne Osage, Lilly Gladstone.
Lilly rayonne dans son role, elle se transforme progressivement tout au long du film comme si elle restituait la sincérité, la vie et l’honnêteté que les autres protagonistes ne peuvent montrer, faute de l’avoir encore !
Comme si dans ce film il y avait non pas des bons ou des méchants, mais des gens qui acceptent leur nature dans le respect de l’autre, face à des gens qui s’attribuent et consomment l’autre.
Martin Scorsese, né un 17 novembre, nous fait un bien joli cadeau d’anniversaire avec ce film, 80 ans, c’est aussi l’age de Robert de Niro, laissant DiCaprio loin derrière avec ses 48 ans.
Quant à Lilly Gladstone, elle nous regarde du haut de ses 37 …
The Killers of the Flower Moon ou un film intemporel sur la nature humaine.
Marc Lanteri – 28/10/2023